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Si j’avais accouché

Cette année j’ai senti la vie se déployer en moi. Je me sentais pleine, pleine de vitalité, pleine d’amour, pleine de mouvements, et même pleine d’eau. Je me sentais ronde et belle. Il me semblait découvrir chaque jour un peu plus mon bébé. Je me suis laissée émerveiller par tous les petits miracles que mon corps exprimait à chaque étape de ma grossesse. Il était souple et se laissait avec douceur se métamorphoser et ce, de pair avec mon handicap physique. On m’avait décrit tous les risques et les tords que ma bedaine pourrait me causer, mais ce fut l’inverse. Mon bébé et moi avons pris soin l’un de l’autre, tout en douceur. J’aurais pu allonger ma grossesse jusqu’à 20 mois ! Mais mon bout de chou fut vite trop à l’étroit dans son cocon.


Depuis, je fais des rêves la nuit. Je rêve que j’accouche. Je suis agenouillée dans un lit et je rassemble toutes mes forces pour mettre au monde mon bébé. Parfois j’accouche de mon garçon. Parfois, j’accouche en AVAC d’une fillette. Mon corps veut accoucher. Mon cœur a besoin d’accoucher. Et si j’avais accouché ?


Si j’avais accouché, j’aurais fait la demande pour avoir à mes côtés une sage femme. Elle m’aurait regardé grossir pendant neuf mois et aurait accueilli mes inquiétudes de maman et de femme en situation de handicap. Chacune de mes questions aurait eu une réponse toute en nuances. Il y aurait eu un espace pour qu’elles se déploient, pour qu’elles sortent de moi. La peur ressentie par l’autre ne m’aurait pas atteinte. Le médecin, l’infirmière, la sage femme auraient su appréhender leurs émotions pour me laisser ressentir les miennes. J’aurais su qu’une première grossesse va souvent jusqu’à 42 semaines. J’aurais su qu’avec une vigilance tranquille, mon bébé aurait pu prendre son temps. Il aurait continué sa descente au creux de mes reins et aurait ordonné à mon corps de s’ouvrir. J’aurais senti le regard bienveillant de cette médecin, infirmière ou sage femme se poser sur mon être tout entier, et non pas morcelé.


Si j’avais accouché, j’aurais davantage pesé les pours et les contres avec cette femme qui aurait vu la vie glisser hors de moi. J’aurais été accompagnée par une seule et même femme. Elle m’aurait suivie sans hâte en adoptant une posture de présence bienveillante. Nous aurions parlé, échangé des regards, échangé des touchers. Nous nous serions connues. Je n’aurais pas passé mes neuf premières heures de travail dans l’aile de préaccouchement. Je n’avais pas besoin de solitude, mais de calme, d’intimité et de soutien.

Si j’avais accouché, je me serais fait un nid dans une chambre douillette. Je me serais déposée dans un espace bienveillant. À l’hôpital ou dans une maison de naissance, j’aurais empreint de mon odeur une chambre plutôt que trois. Je me serais reposée entre les contractions plutôt que de courir parmi les dédales de l’hôpital.


Si j’avais accouché, j’aurais su qu’un accouchement prend du temps, qu’un accouchement prend son temps. J’aurais voyagé au rythme de mon fils, au rythme de nos deux corps. Je n’aurais pas eu à refuser trois fois une deuxième dose d’hormones. Mon utérus ne se serait pas emballé. La douleur n’aurait pas fait un bond si soudain que j’ai demandé à ne plus la ressentir. Dès lors, je me suis sentie déconnectée de l’expérience vécue par mon fils. Je le laissais seul. Et seuls, côte à côte, nous avons été jusqu’à la césarienne.


Si j’avais accouché, ma mère aurait eu un lit bien à elle pour se reposer à mes côtés durant les 18 heures qu’a duré mon travail ainsi que les cinq jours de notre séjour à l’hôpital. Elle se serait reposée et aurait été en forme pour notre retour à la maison. Ma mère n’aurait pas dormi sur une banquette contre une fenêtre glacée. Elle aurait eu un répit alors que l’infirmière ou la sage-femme aurait soutenu mes premiers pas en tant que mère. La nuit, cette femme aurait accompagné les tétées de mon enfant. J’aurais su que je pouvais nourrir mon fils. Nous aurions eu trois jours ensemble pour trouver comment je pouvais allaiter mon fils. Ma mère et moi aurions été moins épuisées et capables d’accueillir les pleurs insistants de la troisième nuit. J’aurais pu allaiter durant cette troisième nuit, nuit du retour à la maison. Mes seins auraient vécu avec délice plutôt que violence ma montée de lait.


Si j’avais accouché, mes premières semaines avec mon fils auraient été différentes. Je me souviens que les premières semaines n’ont été que noirceur, comme si plus rien ne faisait sens. Tout était douleur et fatigue. J’avais pourtant rêvé de mon fils. J’avais rêvé de me bercer avec lui. Je le berçais certes, mais mon âme était trop occupée à se reconstruire.

Si j’avais accouché, j’aurais été avec mon fils pour son passage entre deux mondes.


Mais voilà, je n’ai pas accouché. On m’a accouchée.

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