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Photo du rédacteurMarlihan Lopez

Non, ce n’est pas « normal »

Violences obstétricales. Cela ne fait pas si longtemps que ce concept fait partie de mon vocabulaire, que j’ai compris sa signification et que j’ai cessé de normaliser les expériences vécues de cette violence dans ma vie. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas vécu ces expériences en tant que violence ou que je n’ai pas eu de séquelles par la suite : confusion, perte de pouvoir, honte, peur, et une perte de confiance générale dans le corps médical.


La première fois que j’ai fait face à ce type de violence, j’avais 20 ans. Je venais d’arriver au Québec. J’étais étudiante étrangère, j’allais débuter mes études de maîtrise à l’Université Laval. Mais, je suis tombée enceinte. Je ne comprenais pas encore le système de santé québécois, surtout comment y naviguer sans avoir une carte RAMQ, mais j’ai pu faire les démarches pour une interruption de grossesse. Je me rappelle être arrivée au Centre Hospitalier et passer par une travailleuse sociale juste avant. Cela a été très malaisant, je me rappelle avoir senti, dans son discours, son regard et son interrogation, un certain dédain et mépris. Ce n’était pas trop optimal pour une mise en confiance.


Après un court entretien, je suis passée à la salle où j’allais suivre la procédure. J’avais peur, subir une intervention chirurgicale, étant dans un pays qui n’était pas le mien, dans une ville comme le Québec, en étant une femme noire, dans un endroit où personne ne me ressemblait. Personne ne m’avait dit qui allait être présent pendant la procédure. Le médecin est entré et il a invité des étudiants à se joindre à lui. Personne n’a demandé mon consentement, et même, je ne pense pas que ça aurait été une question à poser, à ce moment, quand j’étais déjà allongée, jambes ouvertes, terrifiée par l’impuissance. Ils ont commencé la procédure, il y a eu une petite complication car mon col refusait de dilater comme on l’aurait voulu. Je me rappelle avoir subi une douleur immense et ne pas trop comprendre ce qui se passait. Le médecin parlait aux étudiants et non pas à moi, mais je me rappelle avoir compris que le col avait du mal à dilater. Les étudiants étaient là en tant que spectateurs et avaient le droit de poser des questions. Moi, je ne pouvais pas bouger et je n’osais pas parler, j’avais peur et je me sentais déshumanisée. Cette expérience a changé mon rapport vis-à-vis du corps médical qui, dorénavant, allait être marqué par la méfiance et un sentiment d’insécurité.


Ma deuxième expérience a eu lieu lors mon accouchement. J’avais un manque de confiance envers le corps médical, dû à mes expériences antérieures et des nouvelles expériences vécues pendant ma grossesse. J’avais 28 ans, mais j’avais l’air très jeune. En tant que femme noire, on peut imaginer tous les stéréotypes et biais que j’éveillais chez de nombreuses personnes. Presque à chaque fois que je rencontrais un nouveau médecin ou infirmière, on m’accueillait avec des regards infantilisants et méprisants. Après, quand ils regardaient mon historique médical et confirmaient mon âge, ils se sentaient à l’aise de faire des commentaires déplacés et moralisateurs sur la problématique des jeunes mamans.


Néanmoins, je pensais être bien préparée. J’ai été suivie par une conseillère en accouchement et en allaitement et nous avons construit un plan de travail. Je savais ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. Mais j’avais toujours peur. Je m’étais beaucoup renseignée pendant ma grossesse, car on le sait bien, « knowledge is power ». Je connaissais les abus de la surutilisation du Pitocin, les déclenchements de convenance pour satisfaire le donneur de soins et les risques accrus de césarienne que cela entraînait.  Puis, je savais que je voulais un accouchement sans péridurale. Je pensais que détenir toute l’information allait me protéger. Mais en arrivant à l’hôpital, rien ne s’est passé comme je l’avais planifié. J’avais perdu mes eaux en pleine réception. Ma pression artérielle avait augmenté. Ils m’ont donné un antibiotique pour prévenir des infections et de la mépéridine pour baisser ma pression artérielle. Pourquoi ce médicament, je posais des questions, mais je dérangeais visiblement. Personne ne me répondait. Et je ne leur faisais pas confiance.


On m’a placée dans une chambre et j’ai commencé le travail d’accouchement. J’aurais voulu marcher dans la salle et être en position assise pendant le travail pour éviter davantage les déchirures, mais on m’a laissé allongée tout le long. J’étais très fatiguée. Je ne me suis pas sentie entendue ni respectée. Après 12 heures de contractions, de travail et d’attente pour que mon col dilate (les infirmières venaient vérifier périodiquement), l’obstétricien est venu m’assister à l’accouchement. C’a été assez vite. Avec une seule poussée l’accouchement était fini. Je n’ai pas pu éviter les déchirures. Mais ça n’a pas été la déchirure qui m’a fait du mal, sinon le commentaire que l’obstétricien a jugé bon de faire quand j’ai réalisé qu’il y a eu des déchirements. Il a dit en finissant de recoudre : « T’inquiète, je vais faire un beau travail, je vais te laisser comme une vierge, ton conjoint va me remercier. » Endurer l’humiliation et se sentir impuissante. Ne pas avoir la force de répliquer, de se défendre, se sentir sans défense dans un moment de grande vulnérabilité.


J’avais effacé ces expériences, j’y pensais à peine. Je les avais normalisées. Pour moi l’accouchement équivalait à de la violence, une violence à laquelle on ne pouvait jamais se préparer assez. À la place d’être un moment rempli de joie, l’accouchement a été un moment traumatique. Je ne voulais plus passer par là, être dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis d’un corps médical auquel je ne faisais pas confiance. Ne pas être traitée avec respect, ne pas être entendue, se voir nier le respect du consentement quand il s’agit de ton corps. Ne pas avoir accès à toutes les informations et être infantilisée.


Mais aujourd’hui, alors que l’on aborde ces expériences comme étant des violences, qu’il y a des personnes qui prennent la parole pour briser le silence, pour dénoncer et pour partager leurs expériences de violences obstétricales, j’ai un peu d’espoir. Je sais que ce que j’ai vécu n’était pas « normal ». Je sais qu’il faut se battre pour que ces violences cessent d’être normalisées et cessent d’arriver.


J’espère qu’il y aura davantage des plateformes pour qu’on puisse partager ces expériences et sensibiliser la population sur cette problématique répandue et comment elle a un impact sur les droits de toustes, surtout de celleux à qui on ne pense jamais quand il s’agit de discuter sur les violences genrées.

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