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Mother blaming

Par Marie-Christine Lemieux-Couture

Socialement considéré comme l’accomplissement suprême du rôle (genré) des femmes — aheum… « accomplissement » seulement si c’est le couronnement de ta vie de couple et que vous êtes suffisamment solides dans vos carrières respectives pour être financièrement viables, parce que sinon what a failure you are, girl ! — , la périnatalité engage les mères en devenir et celles qui le sont déjà vers un étrange (quoique familier) lien social. Du moment que tu es enceinte, tout le monde semble s’être entendu pour te faire culpabiliser : le personnel médical, les médecins, les sages-femmes, le dude du magasin de produits naturels, mais aussi ton chum, ta belle-mère, ta mère, ton arrière-grand-tante par alliance et même, l’inconnu dans l’autobus qui s’arroge le droit de te flatter la bédaine en te passant des commentaires (que tu devrais donc pas faire les courses parce que tu pourrais faire une fausse couche à lever ton sac).

Chacune des décisions de la femme enceinte est scrutée sous la loupe des jugements de valeur des uns, des unes et des autres. T’as bu un café durant ta grossesse ? Ton foetus va faire une crise cardiaque. T’as bu un verre ? À quoi t’as pensé, ton kid va t’être alcoolique. T’as fumé une seule cigarette une journée où ça n’allait vraiment pas pis que tu manquais de larmes pour pleurer ta vie et ton stress ? Ton bébé va sûrement naître avec une oreille dans le front. Tu prends trop de poids ou t’en prends pas assez, tu fais trop de sport ou t’en fais pas assez. Tu devrais lire le livre d’Untel qui parle de comment respirer pendant la grossesse. T’as-tu suivi tes cours prénatals ? Non ? Mais comment vas-tu faire pour accoucher ? Es-tu stressée ? C’pas bon pour le bébé, fais du yoga et prend des bains chauds. T’es déprimée ? Quel genre de mère tu vas faire, tu devrais être heureuse et remercier le ciel. T’as l’impression qu’un extra-terrestre te dévore le dedans et la simple vue de ton corps déformé te fait souffrir ? Mais c’est le plus beau moment de ta vie, et puis, c’est magnifique une femme enceinte maudite ingrate. Tu ne te sens pas capable de sortir le chien aujourd’hui avec ta fatigue et tes nausées ? Si t’es pas capable de t’occuper d’un chien, tu devrais remettre en question ta capacité d’élever un enfant. Ne change pas la litière du chat ; ne mange pas de lait cru ni de sushis ; achète toute bio, local, équitable que tu aies de l’argent ou non ; sinon ça va faire une pluie de bactéries dans ton ventre pis tu vas vomir ton embryon. Consulte quatre différents médecins pour avoir plusieurs avis médicaux avant de prendre une tylenol, on est jamais assez prudente. Tiens, ceci est un restricted order, t’as pas le droit d’approcher à moins de 500 mètres d’une garderie : c’est bourré de microbes et de virus ces endroits-là. Tu ne passes pas les 50 000 tests et échographies ? Mais s’il fallait que ton bébé ait deux paires de genoux, t’y as pensé ! T’as passé les 50 000 tests et échographies ? Les radiations vont déformer ton babe pis y va naître avec deux paires de genoux.

Pendant neuf mois et demi, on te rabat les oreilles de tout ce que tu devrais faire ou ne pas faire. Non-stop. Pis après, c’est l’accouchement. Si tu prends la péridurale, c’parce que t’es faible. Si t’accouches à l’hôpital, tu pathologises ton accouchement. Si tu accouches à la maison, t’es dangereuse pour toi-même et ton flot. Si tu accouches sur le chemin dans le taxi, t’es irresponsable de ne pas être partie plus tôt. Si on te fait une césarienne, tu vas avoir du mal à allaiter. Si on utilise les forceps ou la ventouse, c’est que t’es une moins que femme, même pas capable de pousser tusseule.

Puis, tu réalises qu’on n’en aura jamais fini avec toi, que — tu ne sais pas trop à quel moment c’est arrivé, mais chose certaine, c’est arrivé — tu ne t’appartiens plus. On met tellement de pression aux femmes pour qu’elles allaitent que, si elles ne le font pas, elles sentent que leur maternité est un échec. Et quand tu le fais trop longtemps, on te juge d’être incapable de couper le cordon et de nuire à l’autonomie de ton enfant. Si tu te sens à l’aise d’allaiter en public : salope ! Tu ne te sens pas à l’aise d’allaiter en public : prude ! Ton enfant va à la garderie avant l’âge de 6 mois ? Quelle sans-coeur qui ne pense qu’à sa carrière. Tu mets ton enfant à l’école publique ? Pose-toi pas de questions s’il ne se développe pas super bien. Tu le mets au privé ? Non, mais ça se peut-tu être snob de même !

Si, par un concours de circonstances, un moment donné, ton enfant devenu adulte atterrit en thérapie, soit sûre qu’après quatre ans à se vomir le coeur sur le divan de son psy, il va conclure que : TOUT EST TA FAUTE, MAMAN.

Tu sais que tu deviens mère au moment où tu choisis de garder le foetus qui s’est installé en toi et que tu arrêtes d’habiter ton corps parce qu’on t’a convaincue que c’était mauvais pour lui. Pis là tu stresses. Tu fais des « x » sur ton calendrier jusqu’au troisième mois, pis au moment où tu penses pouvoir enfin vivre ta grossesse parce que les risques de fausses couches ont radicalement baissé, on se met à te parler de diabète, de prééclampsie pis de la cousine germaine du frère de ton arrière-grand-oncle au quatrième degré qui aurait fait une fausse couche à huit mois de grossesse et de facteur génétique.

À partir de la grossesse, les femmes sont dépossédées de leur corps, infantilisées et pathologisées. On les traite comme potentiellement dangereuses pour l’enfant à naître. Et si c’est vrai pour celles qui choisiront de garder le foetus, c’est d’autant plus vrai pour celles qui choisissent d’interrompre leur grossesse. Un avortement c’est mille et une questions, des examens, un rendez-vous pour te jaser de contraception, un autre rendez-vous pour l’intervention au cas où tu changerais d’avis pis si t’as pas pris ton rendez-vous dans les trois jours suivants tes quatorze maudits tests de grossesse tous positifs, on te culpabilise un peu, han, parce que c’est peut-être un peu tard pis why the fuck t’as mis autant de temps à te décider ? Si tu perds le foetus en cours de route, t’as de la misère à te regarder dans le miroir sans te demander ce que t’as fait et tu le vois dans le regard des autres que c’est la question qu’ils se posent aussi. Même la pilule du lendemain, c’est une opportunité de plus pour nous faire sentir honteuses et irresponsables.

Si on a fait un chemin énorme, grâce au militantisme féministe, il est impératif de poursuivre la lutte pour se réapproprier nos corps, et cela passe par le droit à l’autodétermination. Le droit à l’autodétermination, implique — pour paraphraser Marie Shear — le concept radical voulant que les femmes soient des personnes, c’est-à-dire qu’elles sont capables de faire des choix éclairés en ce qui concerne leur corps, leur grossesse et leur enfant. Elles n’ont pas besoin d’être prises en charge par l’État, la société, leur chum, leur belle-mère, le personnel médical, les sages-femmes, etc. L’autodétermination va de pair avec le consentement, une chose dont on fait peu de frais dans une culture du viol et qui peut faire de la grossesse et de l’accouchement des expériences profondément traumatisantes. S’il est impératif, pour consentir, d’être adéquatement informées et guidées vers les ressources adaptées à nos besoins en toute neutralité ; il est tout autant impératif d’éviter de juger, de culpabiliser ou de contraindre par la peur les femmes pour leurs choix.

S’il y a une chose que j’ai apprise (et c’est parlant en soi que ce ne soit pas inné) à travers une maternité conjuguée au féminisme, c’est que s’écouter (soi et son corps) et respecter ses propres limites vaut mille fois plus que n’importe quel livre qu’on pourrait lire sur la périnatalité ou n’importe quel principe débile qu’on s’est (fait) rentré dans le crâne. Et quand je dis de s’écouter, je parle d’instinct et non de rationalité : si t’as envie de manger un litre de crème glacée — fuck le chum qui te dit que c’est pas bon pour la santé, fuck le doc qui te dit que tu engraisses trop vite, fuck ta meilleure amie végane qui te dit que tu contribues à la destruction de la planète — ton corps a besoin de quelque chose contenu dans ton litre de crème glacée. Point barre. Je ne suis pas en train de conseiller de manger un litre de crème glacée par jour pendant neuf mois là : on le sait que c’est pas bon pour la santé, que c’est bourré de sucre pis qu’on peut tout à fait bien se nourrir en se passant de produits laitiers (l’auteure de ce texte n’en mange d’ailleurs pas). Je dis simplement qu’il faut arrêter de traiter les femmes comme si elles représentaient une menace pour leurs enfants et de faire de la maternité une épreuve de stress hors du commun.

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