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Ces fantômes dans l’intime des mères

Par Alice Trépanier, doctorante en psychologie et consultante périnatale.


Image blogue Alice Trépanier

Des récits d’accouchements non respectés dans ma pratique en périnatalité, j’en ai entendu souvent. Ce n’est pas exceptionnel, loin de là. C’est tristement ordinaire en fait. (Des récits de naissances respectées j’en ai entendu aussi, mais ce n’est pas le sujet de ce texte.) La violence obstétricale consiste en un manque de respect des femmes ou des maltraitances et abus à leur égard. Ce type de violence se situe sur un large spectre. Ce peut être, par exemple, une atteinte à l’autonomie des femmes, au respect de leurs choix, aux processus physiologiques entourant la naissance, un traitement déshumanisé, condescendant, infantilisant, une absence de consentement libre et éclairé, de la violence verbale, psychologique ou physique. C’est une violence systémique et le plus souvent non intentionnelle.

Que ce soit lors d’un avortement spontané (fausse couche), d’un accouchement vaginal ou par césarienne, les récits d’accouchement mettent souvent en lumière une souffrance psychologique. Parfois, cela se manifeste en après coup par de l’anxiété et une humeur déprimée, d’autres fois, il en va jusqu’à un état de stress post-traumatique, autres troubles anxieux ou une dépression post-partum. Les femmes peuvent aussi le vivre sous la forme d’une angoisse plus diffuse. Le plus souvent, c’est une entaille dans le sentiment de valeur personnelle et de compétence maternelle ainsi qu’une réactivation des blessures et traumatismes passés. Fréquemment, cela perturbe l’amorce de la relation mère-bébé et peut laisser des traces par la suite aussi. La violence obstétricale est une des racines de ces souffrances.

Le plus déplorable est que les femmes se retrouvent souvent avec un grand sentiment de solitude, de honte ou de culpabilité à la suite de leur accouchement. Elles se trouvent à prendre sur elles l’odieux de cette culture de violence obstétricale. Elles intériorisent souvent en silence ce manque de respect physique ou psychologique, se sentant diminuées, ou carrément «mauvaises». Cela les heurtant plus profondément dans leurs propres fragilités. Les violences obstétricales se produisent durant la période périnatale, mais ces traumatismes sont encore vivants et actifs plus tard dans le vécu de certaines. Ces violences deviennent parfois des fantômes hantant la vie de ces femmes, une présence invisible et perturbante qui s’immisce dans leur relation à leur famille et dans leur rapport à elles-mêmes et au monde.

La situation peut être tellement imposante et souffrante dans l’immédiat que cela pousse certaines femmes à aller chercher de l’aide. Mais bien souvent, c’est seulement plus tard, au détour de l’exploration de leur vécu d’accouchements antérieurs en thérapie, par exemple, ou en vivant un accouchement différent, que ces femmes réalisent la souffrance qu’elles portent depuis tout ce temps. Et d’autres fois, elles ne sont pas conscientes de la violence dont elles sont survivantes tellement elle est banalisée dans notre société. Parfois, c’est le cas même si leur accouchement a été hautement violent. Les femmes doivent savoir qu’elles ont le droit d’être respectées dans leurs choix entourant leur accouchement. Elles ont le droit de le vivre dans le respect et la dignité, mais aussi d’être traitées avec sensibilité et bienveillance. Elles ont le droit de rester dans l’empowerment et ce, peu importe le type d’accouchement. Et pour cela, elles ont le droit de savoir en quoi consiste un accouchement respecté.

La violence obstétricale, c’est un phénomène de société. Ces fantômes, ce sont ceux de notre culture et de ses perceptions des femmes et de leur corps, de différents enjeux du début de la vie ainsi que du rapport soignant/soigné. Et si l’on faisait une introspection collective? Une thérapie à grande échelle? Prise de conscience et processus de changement inclus! Il faut savoir que malgré son potentiel thérapeutique et libérateur, cela peut être difficile pour certaines femmes de prendre conscience de ce qu’elles ont subi. Ces femmes n’ont pas à porter seules le poids de cette prise de conscience. Elles ont besoin d’entendre un écho de la part des autres femmes et de leur société. Nous avons un paradigme à déconstruire et c’est la responsabilité de tout un chacun. Et au cours de ce cheminement collectif vers des accouchements respectés, je souhaite que chaque femme qui en a besoin ait accès à l’aide psychologique appropriée. Parce que s’il est inacceptable de vivre son accouchement dans la solitude et la détresse, il l’est tout autant d’en porter les souvenirs et les conséquences dans les mêmes conditions.

Pour terminer, je salue les initiatives permettant aux femmes de se réapproprier leur vécu d’accouchement en mettant en lumière les violences subies. Il s’agit bien souvent d’une des premières étapes d’un cheminement psychologique par rapport à un accouchement difficile ou traumatique puisque c’est uniquement une fois le vécu des femmes reconnu et légitimé qu’il se crée assez d’espace pour avancer dans le travail psychothérapeutique et dans leur cheminement personnel.

Savez-vous ce qui se passe bien souvent quand ces femmes réalisent les violences qu’elles ont subies? Elles me regardent dans les yeux, stupéfaites, et me demandent : «Comment se fait-il que je n’aie jamais entendu parler de la violence obstétricale auparavant? Pourquoi un tel silence?» Alors, s’il vous plaît, parlons-en!

*Dans ce texte, il est question du vécu de femmes cisgenres, mais aussi de toutes les personnes s’identifiant aux types d’expériences décrites comme les personnes non binaires ou les hommes transgenres vivant une grossesse.

Alice Trépanier est doctorante en psychologie et consultante périnatale. Elle a accompagné de nombreuses femmes et leur famille dans son travail en périnatalité, que ce soit en psychothérapie, évaluation psychologique, intervention de crise ou pour des consultations périnatales/accompagnement parental, comme travailleuse autonome ou dans le réseau de la santé publique. Elle est également conférencière et formatrice en périnatalité. De plus, elle est mère d’un bambin de trois ans. Vous pouvez suivre sa page Facebook : https://www.facebook.com/alice.trepanier.perinatalite/

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