Par Claudine Jouny, Conseillère au CA du Regroupement Naissance-Renaissance, Enseignante en soins infirmiers en périnatalité au cégep du Vieux-Montréal , féministe, membre du Groupe MAMAN
Texte paru originalement dans le MAMANzine, vol. 19, no1, oct. 2015
Sculpture réalisée par l’auteure *
En 1997, j’ai accouché à mon domicile, accompagnée de mon amie et accompagnante à la naissance et d’une sage-femme. À cette époque, l’accouchement à domicile n’était pas légal. Des maisons de naissances existaient, mais sous forme de projets pilotes et pas dans la région de Trois-Rivières où je résidais. C’est en 1999 que la profession sage-femme est née au Québec. Cette naissance fut le début d’une grande transformation.
Mon témoignage aujourd’hui est un cri du cœur, un hymne à mon pouvoir de femme et, qui aujourd’hui, m’a permis de traverser une autre tempête : un état de stress post-traumatique2.
Diagnostiqué en décembre 2014, tsunami psychique résultant d’attouchements sexuels dans ma petite enfance, de ma mère, de prêtres, amis de la famille, de mon professeur au primaire, d’un viol conjugal lors de ma première expérience sexuelle et de violences sexuelles et conjugales durant 15 ans, je commence à reprendre ma vie en main, ma vie de femme, ma vie de mère.
Je ne vous partagerai pas le témoignage de mon accouchement, mais plutôt le récit de l’origine de mes blessures, du processus thérapeutique psychique que je viens de vivre et du chemin parcouru. En guise de conclusion, je souhaite ouvrir le dialogue avec vous afin d’initier un changement social, une reconnaissance de ces violences et des besoins que ces personnes ont d’être reconnues, entendues, accueillies… pour guérir. Mais je vous invite, individuellement et collectivement, à dénoncer la violence quelle qu’elle soit, la culture du viol, la culture du silence, dans tous les rapports d’humain à humain.
Je suis de celles qui, en novembre 2014, ont dénoncé sur les réseaux sociaux (twitter) les agressions que j’ai vécues. (mot-clic : AgressionsNonDénoncées)1 C’était un geste impulsif, irréfléchi, inconscient (?), puisque je n’avais pas de souvenirs francs, juste des doutes, impressions, intuitions… , de ce que j’avais vécu.
Née de l’échec de la méthode Ogino (contraception par abstinence sexuelle périodique), non désirée mais aimée (selon les dires de mes parents), troisième fille d’une famille de quatre filles (mes parents auraient souhaité un fils) et un mois après le décès du père de ma mère, dans une période monochromique familiale (mes photos de bébé sont en noir et blanc, signe de deuil), j’ai grandi dans un milieu ouvrier, catholique pratiquant et isolé de la campagne française, loin de tout.
Ma mère ayant sombré dans une dépression postnatale, épuisée d’avoir eu trois grossesses en moins de 3 ans et en deuil de son père trop hâtivement parti (d’une maladie dégénérative foudroyante : la sclérose latérale amyotrophie ou maladie de Lou Gehrig), j’avais très peu de souvenirs de ce lointain passé. Mais en revanche, je me souviens… d’avoir dénoncé auprès de mes parents les gestes déplacés que me faisaient vivre deux amis prêtres de la famille. Je ne me suis pas sentie entendue et comprise. J’avais trop d’imagination, cela n’était pas possible. Je me faisais des idées.
J’ai enfoui dans ma psyché ces souvenirs, par survie, par protection.
À l’adolescence, j’ai vécu des rencontres amoureuses, somme toute décevantes, empreintes de patriarcat dans une société française post-soixante-huitarde. Puis vint le grand amour. Il était 2 ans mon ainé, j’avais très peur de la sexualité, mais l’éveil au désir sexuel était bien présent et était mêlé de dégout, de confusion (oui, mais…) je ne comprenais pas réellement ce que je vivais, mes souvenirs d’agressions étaient occultés.
Puis mon amoureux, un soir de mai 1986, me viola. Avant l’agression, j’ai protesté, répondu que je ne me sentais pas prête, le repoussait physiquement. Rien n’y fit, et je compris que résister n’était certainement pas la meilleure alternative pour échapper à mon sort. J’ai figé et dissocié : je n’étais plus dans ce corps, mais détachée de lui. J’observais la scène sans comprendre et sans ressentir la douleur physique, anesthésiée. J’ai eu très peur d’être blessée, j’ai aussi pensé que j’allais mourir… de honte, de culpabilité ou que réellement lorsqu’il aurait eu terminé sa petite affaire, je mourrais de chagrin. Je l’aimais, d’un amour biaisé, d’un amour connu : ma mère m’ayant aimé de cet amour, sans tendresse, sans caresse (j’en étais avide) d’un amour faux, d’un amour qui fait mal, d’un amour qui détruit, d’un amour qui prend sans redonner. D’un amour à un sens unique. J’étais une proie facile…
J’ai poursuivi ma relation avec cet homme pendant 15 ans, sous son emprise, isolée, détruite par en dedans.
Et la maternité arriva et me transforma. Je repris le pouvoir sur mon corps sur ma vie.
Au moment de ma séparation, j’ai dénoncé et dit à mon agresseur toutes les violences que j’avais reçues. Il m’a écouté, calmement, et il a pleuré…
J’avais commencé un processus thérapeutique à ce moment-là. Mais les violences subies dans ma petite enfance sont restées occultées. Probablement que je n’étais pas prête psychiquement à y faire face…
Trois années ont passé et j’ai fait la rencontre d’un homme, mon conjoint d’aujourd’hui. Je m’étais reconstruite, j’avais changé de travail, j’avais un cercle d’amies dans le milieu communautaire en périnatalité, et enfin je m’aimais, je me sentais aimée et respectée. La crainte de revivre la même relation empreinte de violence m’a taraudée. J’étais méfiante au début, mais petit à petit, j’ai repris confiance en moi puis en lui. Nous formons un couple depuis plus de 7 ans.
C’est avec lui que j’ai vécu mon état de stress post-traumatique. C’est dans la sexualité qu’il a commencé son expression. Puis dans mes relations personnelles, professionnelles et enfin sociales.
Après avoir dénoncé sur twitter, j’ai commencé à avoir des flash-back2, rêves éveillés que j’allais être violée… par mon conjoint… que j’allais mourir, expression de ma souffrance des nombreuses violences que j’avais subies enfant, adolescente et adulte. Je ne parvenais plus à avoir une image claire et bienveillante de la vie.
Ayant de bonnes personnes autour de moi, collègues de travail, amies de plusieurs années, elles m’ont fait du reflet, du recadrage et j’ai fini par aller chercher de l’aide. Les CALACS ont été ma première ressource. Après mon dernier cours (j’enseigne aujourd’hui au niveau collégial), je me suis écroulée en larmes dans mon bureau et j’ai cherché sur Internet leur numéro de téléphone. Un organisme communautaire intervenant auprès des femmes vivant ou ayant vécu des agressions sexuelles ou de la violence conjugale m’a été référé. Puis grâce au service d’aide aux employés, j’ai eu des séances gratuites en psychothérapie avec une sexologue qui m’a diagnostiquée en état de stress post-traumatique.J’ai alors poursuivi par choix une thérapie EMDR3 (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). C’est avec cette thérapie que mes souvenirs sont remontés. J’ai pu me reconnecter à mes souvenirs enfouis, mes émotions bloquées lors des violences subies dans ma petite enfance.
Je poursuis encore avec un groupe de soutien de femmes ayant vécu des agressions sexuelles (viol, inceste, attouchement sexuel, etc.) et c’est grâce à ce groupe que je brise le silence, que je me reconstruis. Nous nous comprenons, nous sommes toutes à l’étape de conscientisation de nos vécus. Nous ne nous jugeons pas, nous sommes empathiques, nous partageons nos blessures. Nous nous sentons comprises, entendues, écoutées et partageons nos démarches, nos actions que nous posons afin d’accepter nos vécus et vivre avec, pour en faire quelque chose… de bien dans nos vies.
Mon propos est de transmettre l’espoir. Retrouver une sérénité, une paix avec moi-même, facilité par mon expérience de reprise de pouvoir que j’ai réalisé dans ma maternité. J’ai toujours gardé un espoir de passer à travers les épreuves de la vie, j’ai toujours cru en moi et en l’humain. J’ai encore beaucoup de chemin à faire, mais je suis confiante en l’avenir.
Je souhaite aussi initier un appel à tous, femmes, hommes, afin que nos lèvres se délient, afin que nos oreilles écoutent, que nos cœurs s’ouvrent, que nous, les humains, nous démontrions empathie et compassion afin que toute personne souffrante se sente écoutée, entendue et comprise.
Car pourquoi briser le silence si personne ne nous écoute ???
Comme l’énonce Pattie O’Green dans son recueil de slam «Mettre la hache», aux Éditions du remue-ménage4, et dans son blogue5, le contrecoup du mot-clic AgressionsNonDénoncées au Québec fût l’émergence de demandes d’aide dans les CALACS, de logorrhées dans les médias, de diseurs d’opinion, de lettres d’opinion et de leurs commentaires haineux, violents envers celles et ceux qui ont participé à cette vague, révélant une culture du viol et de violence, révélant une grande incompréhension et un ostracisme encore plus grand de celles et ceux qui ont courageusement dénoncé. Je vous invite donc à un dialogue, à des échanges autour de vous avec vos amies et amis, vos collègues, vos enfants, petits et grands à échanger sur le respect, la communication non violente, l’empathie, la compassion, mais aussi sur ces réalités contemporaines qui sont la culture du viol et la culture de la violence…
*Sculpture réalisée en glaise, en juin 1998, 6 mois après la naissance de mon enfant.
Note : À l’orée de mon vagin, passage obligé de l’enfant à naitre, les blessures du passé se sont réveillées au moment de mon accouchement. Bien accompagnée, j’ai vécu la naissance positivement et sereinement. Un élément de ma sculpture est disparu (je l’ai cherché en vain!) il s’agissait d’un socle, phallique, révélant le viol, refoulé.
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