Mes règles ont toujours été très douloureuses, abondantes et irrégulières. Depuis mes treize ans, je ne compte plus les jours et les nuits passées tordue de douleurs, allongée sur le carrelage froid, les jours manqués à l’école ou au travail avec souvent une incompréhension et un jugement des profs, des patrons et des « adultes responsables ». Tabou, le sujet l’est dans la société, mais aussi dans nos esprits et dans nos corps. La pilule s’est proposée comme un moyen d’éviter une grossesse non désirée et de diminuer les douleurs menstruelles. Ma vie sexuelle a commencé quand j’avais 15 ans. Très vite, j’ai demandé à ma mère d’obtenir un rendez-vous gynécologique pour la pilule. La question ne s’est pas posée longtemps. Si contraception il y aurait, ce serait la pilule. Je ne savais rien, seulement que je ne pouvais pas avoir des rapports hétérosexuels sans me responsabiliser sur ce point. Alors, je suis allée à mon premier rendez-vous. Je connais la femme médecin, aussi l’épouse de mon généraliste (petite ville à l’extérieur de Bordeaux oblige), c’est aussi elle qui m’a injecté 3 fois le vaccin oh combien douloureux censé nous protéger du papillomavirus (j’y reviendrai). Alors, à 15 ans, je me suis fait prescrire une pilule de troisième génération, gestodène. Autant vous dire qu’à 15 ans, la responsabilité de prendre une pilule tous les jours n’était pas toujours mon fort. Avec une jeune vie sexuelle fort active, des partenaires multiples et un stress constant d’être enceinte ou infectée d’une ITS, j’ai trop souvent zappé sur le préservatif systématique parce que les garçons trop souvent disaient ne pas le supporter. Quel dommage, quelle lâcheté, une ignorance et une naïveté des deux côtés. Bref, pendant 5 ans, jusqu’à mes 20 ans, j’ai pris la pilule, j’en ai changé une fois. L’histoire de cette transition a encore un goût amer. Lors des trois premières années de cette contraception, j’ai pris environ 10 kilos. Je faisais du sport, j’avais une alimentation équilibrée et cette prise de poids étrange a développé des complexes corporels et une relation encore plus conflictuelle avec ma mère. Alors, j’ai décidé d’arrêter la première pilule. En trois semaines, je perds 7 kilos, je me vide et je ne comprends pas ce qui m’arrive. Après quelque mois de repos, je décide d’essayer autre chose. Rebelote, pilule, quotidienneté, poids mental de cette responsabilité alors que je suis célibataire. Mes seins grossissent d’un coup, c’est bizarre, j’ai mal, j’ai l’impression de recommencer ma puberté. Le problème de laxisme des gars n’aide pas et le préservatif est toujours un problème. À 19 ans, je découvre ma sexualité avec les femmes. C’est beau, c’est vrai, et je comprends enfin qui je suis. Cependant, ma gynéco old school n’est pas du même avis. Lorsque je la vois et lui demande quels sont les moyens de protections contre les ITS dans les rapports entre femmes, je suis face à un mur : elle n’a rien à me dire, elle ne reconnaît pas la sexualité lesbienne comme digne d’intérêt et puisque je couche déjà avec des hommes, elle se contente que de me renseigner là-dessus. Je passe plus ou moins à autre chose et à 20 ans, une bonne fois pour toutes, je choisis d’arrêter définitivement la pilule après des examens médicaux indiquant un taux de cholestérol bien au-dessus de la norme à mon âge et des taux d’hormones crevant le plafond. Je suis mal dans mon corps, dans mon esprit et j’ai besoin de me retrouver. Madame la super gynéco m’explique que les hormones c’est fini pour moi et que ma seule solution est le préservatif ou le stérilet. Génial, option stress ou option invasive. Je préfère ne pas choisir. La transition : VPH, incompréhension, stigmate La même année, je pars à Montréal pour mes études. J’ai une assurance médicale grâce à mon statut d’immigrante étudiante, mais accéder à des soins gynéco reste compliqué, même aujourd’hui, presque cinq ans plus tard. Quelques mois après mon arrivée au Québec, je reçois les résultats d’un frottis fait en France avec la même gynécologue. Sur le courrier du laboratoire que ma mère me fait parvenir, les mots « cellules cancéreuses » me paralysent. Je ne comprends pas comment c’est possible. J’ai le VPH (papillomavirus) en moi. Malgré le vaccin, je me trouve quand même dans cette situation, sans savoir pourquoi, sans savoir comment, sans aucun indice sur la suite. On me dit (et on en discute avec les copines qui l’ont aussi), que le virus peut disparaître tout seul en trois ans ou bien développer des lésions utérines dangereuses qui peuvent potentiellement mener à un cancer. Ça fait peur et les trois ans qui suivent, je prends le temps de parler à mes partenaires (hommes et femmes) de ce qui peut potentiellement se passer s’ils couchent avec moi. Vous me direz, mais quel rapport avec la contraception ? Eh bien tout simplement parce que si nous faisions plus attention à nous protéger – avec le préservatif notamment – la boucle humaine de l’infection serait significativement réduite. Entre mes 20 ans et mes 23 ans, je vis au gré des rencontres, j’ai beaucoup de rapports et entre temps, je me fais agresser sexuellement. Cet homme me viole sans protection. Il a blessé mon intimité à jamais et ceci, j’en suis sûre a un lien encore aujourd’hui avec des douleurs fantômes qui assaillent mon utérus et mon sexe pendant et hors des rapports sexuels. Le stérilet : abus de pouvoir, pose, douleurs et violence gynécologique. À 22 ans, je rencontre quelqu’un, un homme. Histoire classique, nous tombons amoureux et alors je ressens le besoin de retrouver une stabilité dans ma contraception et de me libérer un peu du préservatif obligatoire. Ainsi, je décide de prendre rendez-vous chez ma gynécologue française lors de mon prochain passage pour discuter de mon futur contraceptif. Lors du rendez-vous, je lui explique ma situation, elle me parle de mon VPH, elle ne m’écoute pas. Je lui explique que j’aimerai me faire poser un stérilet en cuivre pour me libérer d’une grossesse inattendue. Bien sûr, et comme je m’y attendais, elle refuse. Elle me dit que parce que je repars au Québec la semaine suivante, c’est trop risqué, elle ne veut pas prendre la responsabilité. À cela, elle ajoute que parce que je n’ai pas eu d’enfant, ce n’est pas une bonne idée. Je lui dis que je ne suis pas sûre d’en vouloir, elle me dit que ça passera. Alors je repars au Québec bredouille, avec un sentiment d’enfermement qui ne fera que commencer. Quelques mois plus tard, je rentre en France pour une plus longue période. À ce moment-là, j’ai changé de statut d’immigration et je ne bénéficie plus de la sécurité sociale française. Comment oublier ce jour où la préposée à la sécu de Bordeaux a découpé ma carte vitale devant moi, me laissant complètement désemparée face à d’éventuels problèmes médicaux, chez moi en France, ou au Québec. Je ne l’ai pas écoutée et j’ai nourri mon souhait de me faire poser un stérilet. La fois suivante, elle accepte sous la « contrainte ». De très mauvaise humeur, elle m’envoie acheter le dispositif intra-utérin en cuivre, des anti-douleurs pour la pose. Je commence à m’inquiéter. Dans ma famille, les femmes souffrent de problèmes gynécologiques et je ne suis pas épargnée. Je lui parle de mes inquiétudes qu’elle balaie d’un geste méprisant, me dit de me déshabiller de m’allonger sur la table froide et impersonnelle. Ma mère m’attend dans la salle d’attente. J’ai 23 ans, je pense à elle et je prends la mesure du poids que toutes les femmes ont vécu et qu’elles vivent encore. À moitié nue, terrorisée, je me fais remettre à ma place par cette femme parce que je n’ai pas mis l’ovule censé dilater mon col. Et pour cause, je suis tétanisée, j’ai oublié, mais au moins, j’ai pris les anti-douleurs. Sans me prévenir, elle m’enfonce son spéculum horrible dans le vagin, je sens des spasmes de douleurs m’assaillir et je veux m’évanouir. En pleine installation, je regrette presque, mais c’est trop tard. Une sensation nulle, violente d’avoir perdu quelque chose fait surface. Ça y est c’est fait, elle a terminé et je me rhabille, blanche et faible. Sans attendre, elle me dit dans le plus grand des calmes qu’elle n’est pas responsable de douleurs ultérieures, que je n’avais qu’à réfléchir et que de toute manière elle m’avait prévenu que ce n’était pas pour moi. Je n’ai même pas le temps de comprendre ce qui m’arrive que je culpabilise déjà d’avoir mis en péril mon utérus. Je quitte le cabinet dans un état second. Ma mère me récupère à bout de bras. Je me souviens d’avoir passé la journée dans mon lit, pliée en deux, en pleurs. « Qu’est-ce que j’ai fait ? » ces mots tournent boucle dans ma tête, et pourtant je suis loin d’imaginer ce qui m’attend. Je ne sais pas comment raconter l’année et demie qui a suivi avec le stérilet. Honnêtement, c’était violent, d’une violence que je peine à décrire et j’ai aussi du mal à croire que j’ai pu supporter ça pendant aussi longtemps. Dès les premiers cycles, je suis prise de contractions horribles, je suis incapable de bouger, j’ai des spasmes, je suis en sueur, j’ai des convulsions, j’ai peur de mourir tellement j’ai mal. Je ressens ces douleurs avant, pendant et après mes règles. Antadys, le médicament antidouleur que je prends depuis presque dix ans ne suffit plus à me soulager. J’en parle autour de moi, tout le monde me conseille de me le faire retirer, mais je refuse, je me pense plus forte que ça et j’encaisse. Pourtant, je ne suis plus moi-même, je guette les douleurs, les moindres signes, mais je ne sais pas vraiment ce qui se passe dans mon corps. Sexuellement, c’est difficile, j’ai souvent mal pendant et après les rapports même si je n’ai pas de contractions. En vacances en France quelques mois après la pose, j’en profite pour aller voir ma gynéco (toujours en fraudant) et lui parler de mes douleurs. Ce qu’elle me répond : « je vous avais prévenu, la seule chose à faire c’est de l’enlever ». Je n’en crois pas mes oreilles, ce n’est pas possible, il doit bien y avoir des réponses à mes questions ! Pour toute réaction, elle me prescrit un médicament, censé calmer radicalement la douleur : Le Kétoprofène. Autrement dit, une drogue prévue pour soulager les rhumatismes violents et permettre aux personnes immobilisées d’avoir de meilleures conditions de vie. Je suis sceptique, mais je suis tentée. Ne plus avoir mal, comme par miracle ? Qui dirait non ? Revenue chez moi à Montréal, je suis prise de douleurs atroces et immédiatement je me jette sur la boîte de médicaments. Je n’ai pas totalement confiance alors je n’en prends qu’une moitié : HEUREUSEMENT. Ce médicament fait de moi une hystérique sans réflexe, je me tords de rire, je suis tout simplement droguée. J’en prends souvent au début, car ça soulage vraiment mes douleurs, mais au bout de deux ou trois mois, je prends conscience de la potentialité de dépendance et de la puissance chimique de ce médicament. Je développe des troubles digestifs chroniques, une fatigue physique et émotionnelle encore plus importante qu’avant : je suis dépendante à l’aide psychologique que représente ce médicament pour moi. Sans attendre, j’arrête et cherche des alternatives. Au Québec, l’accès au Cannabis est plus facile quoique illégal à l’époque. Je demande à mon fournisseur d’herbe du CBD, la substance issue de la marijuana qui aide à la détente physique et atténue les douleurs chroniques. C’est redoutablement efficace, mais ça coûte cher et je ne me peux me permettre de m’en procurer souvent. Je vis les derniers mois avec le stérilet dans un épuisement physique constant. Finalement, lors de mon dernier voyage en France au mois de décembre 2018, je décide d’aller voir ma gynéco pour discuter de mes options contraceptives pour le futur. J’ai déjà fait mes recherches de mon côté et j’espère avoir des idées sur les autres moyens qui pourraient me correspondre. Je ne suis pas sûre de vouloir enlever le DIU, mais je sais que c’est sûrement ce qui va arriver. Cette fois, je demande à ma mère de m’accompagner dans la salle d’examen. Ça fait longtemps que je ne fais plus confiance à cette gynécologue, mais je n’ai pas vraiment le choix. Parce qu’elle me l’a posé, une forme de loyauté injustifiée est encore présente en moi. Face à elle, à peine ai-je le temps de lui expliquer ma situation qu’elle m’annonce sans transition : « Bon, vous voulez l’enlever ? Allez, sur la table ». J’essaie de protester, mais je n’ai pas le temps. Je sens la tension dans la pièce monter, ma mère se crisper un peu, et moi qui ne sais plus quoi dire tant je suis perdue. Une minute plus tard, je suis sur la table, avec cette femme en blanc qui me dégoûte. Elle me regarde d’un œil étrange et me dit, l’air de rien « Et alors, ces poils c’est normal ? Vous avez un problème de rasoir ? » En effet, je suis poilue, ça fait plusieurs mois que j’ai décidé de ne plus m’infliger cette routine et je lui réponds, presque fièrement : « Non, c’est mon corps, il a des poils, c’est normal »; ce à quoi elle ne répond pas, elle fronce les sourcils, me juge, plonge sa main gantée en moi et me retire le stérilet d’un coup sec, sans même m’avoir demandé la permission ou prévenue. À ce moment, je lui demande « ça y est, c’est fini ? » tremblante et choquée de cette violence inattendue. Ma maman, qui se sent presque aussi mal que moi demande à la gynéco « j’avais parlé à Alizée des troubles gynéco des femmes de ma famille, est-ce possible qu’elle en souffre aussi, ou que cela se transmette de manière génétique ? » Question valide, je suis intéressée par une réponse renseignée. La gynéco répond « Quelle mauvaise idée de parler de ça à votre fille, vous ne parviendrez qu’à lui faire peur. » Nous restons silencieuses. Pendant que la transaction frauduleuse se fait entre la médecin et ma mère, je profite pour poser des questions : « Pourquoi m’avez-vous prescrit ce médicament ? Il est connu pour les risques et les contre-indications nombreuses et vous ne m’avez rien dit ». Elle nie m’avoir prescrit quoi que ce soit. Elle a oublié. OUBLIÉ. C’est inadmissible et ça me prive de ma parole. En sortant, sans un regard ou un mot gentil de sa part, j’ai besoin qu’elle me parle de mes options. Elle me dit en me fermant la porte au nez que je n’ai plus qu’à acheter des préservatifs, c’est ma seule alternative. Dehors, sur le parking, ma mère et moi nous serons dans les bras. Je sais qu’elle comprend ma douleur et ma peine parce qu’elle les a déjà vécues. Cette reproduction des mauvais traitements, de l’absence d’une écoute attentive des médecins envers les femmes, des abus de pouvoir, violences physiques et morales… toutes ces choses sont le fruit d’un système et d’une idéologie médicale profondément sexiste, les femmes médecins ne sont pas toujours mieux et elles instrumentalisent parfois leur qualité de femme pour excuser leur attitude.
J’ai coupé cette partie car j’ai peur que cela ne cause du tort à la femme : Pour cette raison, je fraude à la sécu depuis trois ans maintenant. Ma mère paye les médecins et fait apposer son nom sur les feuilles de soin afin que je puisse avoir des rendez-vous et vérifier que tout va bien. La gynécologue le sait, et elle use de ce pouvoir pour imposer sa vision.
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