J’avais vraiment bien préparé la naissance de mon premier bébé, j’avais lu le livre « Une naissance heureuse » de Isabelle Brabant, j’avais parlé avec mon chum de la cascade d’interventions possibles, j’avais préparé toute seule mon plan de naissance, et j’étais déterminée à accoucher le plus naturellement possible. J’avais déjà subi 7 chirurgies aux deux genoux, avait souffert de la douleur intense à plusieurs moments de ma vie et faisais confiance en ma capacité à vivre les contractions. Je me sentais forte et j’avais hâte d’être au grand jour… J’avais choisi cet hôpital parce que c’est là que mon médecin de famille accompagnait ses accouchements. Elle m’avait offert un suivi tout en ouverture, en choix éclairés et en confiance en ma capacité à construire et à mettre au monde un bébé. Je n’avais pas réalisé que je la verrais finalement très peu, au moment de mon accouchement, et que ce serait avec les infirmières que j’accoucherais… Les contractions ont commencé tout doucement, pendant 24 heures, elles devenaient régulières, plus intenses. Mon médecin m’avait offert d’aller la voir en cours de journée dans son cabinet, pour constater que le col était toujours fermé, mais un peu plus souple. Nous savions que la phase de latence pour un premier bébé pouvait être extrêmement longue, et j’étais patiente. Lorsque la tempête s’est levée, 24 heures plus tard, je me suis mise à vomir, les contractions étaient intenses et je croyais avoir rompu mes membranes après avoir entendu (ou seulement senti) un grand « clack ». À ce jour, je ne sais toujours pas ce qui s’est passé puisque mes membranes étaient encore intactes, mais j’ai connu par la suite quelques femmes à qui cela est arrivé. Arrivée vers minuit à l’hôpital, je me fais recevoir par une infirmière extrêmement brusque, visiblement mécontente d’être là (nous sommes le vendredi de la grande fin de semaine de l’Action de Grâce, et, déjà, je me sens un peu mal de lui infliger de travailler). Elle m’annonce que je suis seulement à 1.5 cm, encore au début de la latence. Lorsque j’ai des contractions, elle me regarde grimacer et respirer ou gémir et elle me dit: « Mon Dieu, qu’est-ce que ça va être tout à l’heure! », avec un sourire méprisant lancé à mon conjoint. Elle lui explique qu’elle va aller chercher un lit pour qu’il puisse dormir. Mon conjoint lui manifeste le désir de m’aider, mais elle lui dit: « Ben là, ce bébé-là ne va pas naître avant 24 à 48 heures, parti de même… Si vous ne dormez pas, monsieur, vous n’allez pas vous rendre au bout de l’accouchement ». Et à moi: « même chose pour toi, tu es mieux de te coucher dans le lit et de dormir, sinon tu ne passeras pas au travers ». Ça y est, le mal était fait. J’étais finalement faible. Au lieu de m’exprimer dans ma force et dans ma puissance, ce que je m’étais préparée à faire en lisant avec émotions chaque page du livre d’Isabelle Brabant, j’allais faire partie de ces femmes qui ne supportent pas la douleur et demandent la péridurale à la moindre crampe. J’étais finalement incapable d’accoucher. J’ai passé la nuit seule, à dormir dans mon lit entre chaque contraction, inconfortable, incapable de rester allongée lors des contractions: je m’asseyais alors dans mon lit (je me suis même fait « chicaner » de ne pas être couchée, lorsque l’infirmière est venue durant l’un de ces moments), me demandant quand j’allais démissionner, avec mon conjoint qui me faisait dos en ronflant. Il faisait noir, j’avais froid et j’avais peur. Et personne ne s’occupait de moi. On m’avait bien dit qu’on me gardait seulement parce que je « retardais » de 5 jours, pas parce qu’on croyait que j’accouchais pour vrai. Je ne devais pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller mon chum. Je n’avais comme seule alliée qu’Isabelle Brabant, que son texte sur la vague que je sentais revenir de façon incessante et menaçante. Mais puisque je n’étais même pas sûre moi-même d’accoucher pour vrai, et que j’avais honte de ma faiblesse, et que personne ne m’encourageait ou ne me remerciait pour ce beau travail, je négociais avec la douleur en m’attendant à ce qu’elle décuple encore et que je ne puisse plus la prendre. Pourtant, j’ai su à la fin que cela avait été le pire moment, même au niveau de la douleur. Probablement que le soutien par la suite a tout changé et que cela m’a paru plus facile. Ou que mes endorphines ont réussi à m’apaiser à partir du moment où on légitimait mon besoin d’encouragement. À 6 heures du matin, après avoir passé cette nuit seule à me demander comment ma mère et ma grand-mère avaient réussi, elles, j’ai demandé un examen du col, parce que je n’en pouvais plus. J’étais à 2.5 cm, peut-être 3 cm: imaginez le découragement. J’ai demandé la péridurale en pleurant, avec un fort sentiment de renoncement, d’échec, de déception envers moi-même et de faiblesse. Mais je n’en pouvais plus. L’infirmière m’a répondu: « pas possible avant 4 cm, il faudra attendre encore ». J’ai donc pris tout mon courage et j’ai dit: « ok, mais j’ai besoin d’aide pour me rendre à 4 cm ». À contre-cœur, visiblement, elle m’a fait couler un bain et j’ai insisté pour que mon chum soit à mes côtés (elle s’attendait à ce que j’y aille toute seule pour le laisser dormir). Il s’est réveillé un peu perdu et est gentiment venu à mes côtés, me serrant la main à chaque contraction et respirant avec moi, me disant des mots d’amour et m’encourageant, sachant que j’allais pouvoir être soulagée bientôt. Je crois qu’on m’a un peu oubliée dans le bain. À 8h, j’ai senti une forte envie d’aller à la toilette, mais rien ne sortait. J’étais soudainement très lucide, pouvait retrouver l’usage de mes jambes. Je suis revenue dans ma chambre en disant à une nouvelle infirmière (Dieu merci, le chiffre avait changé!): « je sens que ça pousse ». Très souriante, elle m’a dit: « Ben voyons, ça ne peut pas être ça. Venez-vous asseoir, on va faire un peu de monitoring ». J’ai insisté: « non, ça pousse, je veux un examen du col ». Elle m’a répondu: « Ben vous ne feriez pas un beau sourire comme ça, avec les joues roses, si vous en étiez à la poussée. Mais ok, je vais faire un examen pour vous faire plaisir ». Entre nous, une envie de poussée, ça ne prend pas 95 chemins… J’étais surprise qu’on remette ça en question. Moi, c’était mon premier bébé, mais je savais mieux qu’elle, qui en accompagnait des centaines par année, ce que mon corps me lançait comme signal. À peine les doigts insérés qu’elle change de visage et s’écrie: « Mon Dieu, la tête est là, nous n’aurons pas le temps d’aller chercher un médecin !! Essayez de ne pas pousser, mais sinon c’est moi qui vais attraper le bébé! ». Je ne me souviens que d’une seule chose, entre ce moment et la sensation de ce beau grand poisson de 8 livres et 10 onces qui glissait (sans aucune déchirure: un bain de deux heures, et des massages de périnée appris dans un livre, ça a ça de bon!!), c’est que j’ai passé tout le reste de la poussée à dire: « On m’a prise pour une « moumoune », personne ne m’a crue, mais je n’aurai pas besoin de la péridurale!! » Je crois que j’ai poussé assez longtemps pour qu’un interne arrive, aussi nerveux que l’infirmière (mais pourtant, il n’y avait rien à faire, mon corps faisait tout seul ce qu’il avait à faire), puis finalement mon médecin, qui a laissé en plan une famille de 4 enfants en pleine vaccination dans son cabinet pour dire à tout le personnel: « tassez-vous, c’est le papa qui attrape le bébé! ». Mon amoureux pleurait, il était fier comme un paon, ébranlé, surpris, émerveillé, je crois. Il a attrapé notre bébé et, le tenant par les fesses, n’arrivait pas à dire s’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon! Pauvre amoureux, je lui ai reproché pendant plusieurs années d’avoir dormi pendant tout mon premier accouchement. C’était vrai, mais tout de même imposé. Au deuxième, qui soit dit en passant s’est déroulé exactement dans les mêmes temps (longue latence, puis 2 à 10 cm en deux heures, poussée quasi-inexistante), il a pris beaucoup de café, n’a pas fermé l’œil, et a fait tout ce que je lui demandais avec, cette fois, une parfaite confiance en mon corps, en mon cœur, et en ma capacité à vivre les étapes dans la force et la dignité. Il est vrai que, devenue accompagnante à la naissance plus tard, j’ai pu constater que mes phases ne sont pas classiques. Par contre, j’ai accompagné suffisamment de femmes qui ont vécu à peu près le même scénario pour savoir que tout est toujours possible, pour me douter que cette infirmière qui m’a tenu des propos dégradants et qui m’a volé ma force durant cette période déterminante de ma vie, avait dû en observer aussi. Le « pas comme dans les grilles » existe et elle, mieux placée que quiconque, aurait pu m’encourager et me permettre de penser que j’étais capable d’être vulnérable ET forte, pas classique ET crédible, primipare ET en pleine connaissance de mon corps. Au lieu de me remettre dans ma force et dans ma confiance à accueillir la douleur, elle m’a fait le plus grand mal qu’elle pouvait me faire en semant le doute dans mon esprit. Elle ne me connait pas, mais c’est la pire chose à me faire parce que j’ai tendance à me liquéfier devant les figures d’autorité. Et autoritaire, elle l’était! Elle me faisait penser à un pitbull. Au lieu de prendre l’angle de la force et de la confiance, elle a dûment choisi de me placer en position de soumission et de honte. Je soulève un autre problème. Je suis maintenant accompagnante à la naissance et je travaille fort pour le consentement libre et éclairé. Je porte une attention particulière à la validation de la personne qui accouche dans tout ce qu’elle ressent (malgré les « preuves » en cm ou en %). J’encourage les hommes à lire leur amoureuse et à répondre à leurs besoins bien au-delà du déroulement qui s’exprime devant nous, oubliant les tableaux des phases vus en rencontres prénatales. Mais malgré tout cela, c’est seulement la semaine dernière, en assistant à la rencontre sur les violences obstétricales et gynécologiques donnée par le RNR (dans le cadre de son AGA), que j’ai réalisé que j’avais moi-même été victime de cette violence. Et que « se moquer de la douleur et de la souffrance » est même assez haut sur la pyramide (traitements dégradants). Je peux donc affirmer que, même pour moi qui œuvre dans le domaine de la périnatalité depuis 8 ans, ce concept n’était pas encore clair. C’est dire à quel point il est sournois, subtil, à quel point il s’insère dans les cœurs des femmes et de leur partenaire sans crier gare, et qu’il peut même interférer dans la naissance de la famille, dans le lien au bébé qui, lui, n’attend que de voir le jour dans un accueil complet, total, où chaleur, fierté, confiance, force, écoute de l’instinct devraient être à leur apogée. Faire de ces familles des victimes de violence, c’est également les déposséder, à un degré plus ou moins élevé, de leur sentiment de compétence parentale. Et cela est impardonnable, car le temps qui sera pris à en guérir ne reviendra jamais.
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